Cependant ce n’étaient pas les vacances non plus, il fallait souffrir aussi. Bizarrement je ne me souviens guère des nombreuses et pourtant douloureuses interventions aux jambes : greffes, broches, extensions… Regagner ces quelques centimètres manquants. Conséquence de cette tentative de rééquilibrage : une scoliose dorso-lombaire maligne et au long cours s’est développée insidieusement.
Mon opération de la colonne vertébrale, vers douze, treize ans, peut-être quatorze, reste incontestablement mon souvenir le plus pénible. Un an dans un corset, entre plâtre et plastique, une tige Harrington plantée dans le dos, mieux qu’une épée, à la verticale, de haut en bas, de bas en haut. Douleurs inoubliables, souffrances vertigineuses et sans fin ; corps et gestes bloqués. J’envie alors parfois la lente et syncopée aisance des robots d’antan. Je souffre le martyr quand je suis assise dans mon fauteuil, je me chouchoute cependant ainsi, je me repose, j’en profite, au grand dam du médecin et du kiné qui préféreraient me voir marcher en béquilles et renforcer les muscles de mes jambes. Le retrait du plâtre et la douche qui s’ensuit, un an après la précédente, constituent au contraire mon meilleur souvenir. Faut-il souffrir autant pour se sentir enfin si légère ? Si la polio est l’histoire de ma vie, la scoliose en est le traumatisme indélébile.