René – Extrait 2 – Tranches de vie

La maison de mes premières années

(…) Je suis retourné au MDB avec ma femme, Simone, bien des années plus tard, au début des années 1990, pour enfin lui montrer ce lieu, si loin, si proche, dont je lui parlais si souvent. Les occupants d’alors nous permirent gentiment de rentrer dans la maison. Au pied de la cheminée, je réaménage aussitôt, mécaniquement, instinctivement, l’espace tel que je l’ai connu autrefois. A gauche, le lit des parents, à droite, le grand lit dans lequel je dormais avec mon frère.

Aujourd’hui, la maison est en ruine, la toiture s’est affaissée dans le grenier, les mauvaises herbes en camouflent désormais l’entrée. La végétation, sereine,  comble l’absence de l’homme, masque sa fuite. En toute liberté, elle efface et reprend ses droits. Sans rancune.

Le certificat d’études

(…) Le trente juin 1953, à bientôt quatorze ans, l’école est finie, je m’en rappelle. Les parents faisaient les foins. Sur le chemin du retour à la maison , je chante à tue-tête. Je viens d’obtenir mon certificat d’études. Ça fait plaisir !… Bien sûr, ce n’est pas le baccalauréat, mais c’est tout comme. Bien sûr, je ne poursuivrai pas mes études mais c’était si rare à notre époque, on ne se posait pas trop la question. Bien sûr, le trente juin 1953, c’est la fin de mon enfance… Pas grave. Le trente juin 1953, sur le chemin du retour à la ferme, je chante.

Fin du service militaire

(…) Le 29 décembre 1961, j’embarque pour Marseille sur le « Sidi-Bel-Abbès », le 1er janvier, j’arrive au P…. . Alors que me reste-t-il de mon séjour de vingt-quatre mois en Algérie ? La jaunisse, pour quelques temps, des copains, pour toujours. Mais aussi la peur. Toujours et encore. Je suis longtemps soigné par mon médecin traitant à coup de tranquillisants car je reste agité, nerveux, fébrile. Aujourd’hui encore, parfois, je fais des rêves, plutôt des cauchemars d’ailleurs. Je m’imagine retourner en Algérie, la guerre continue. Quand je me réveille en sursaut, je suis malheureux. Toujours.

La fonderie

(…) Las de vivoter sur mes maigres revenus de la ferme, le onze février 1964, je m’engage, à temps plein comme ouvrier dans la Fonderie de L……., le premier employeur de la région.

(…) La plupart du temps, je fabrique seul mes pièces, souvent de petites grilles d’aération présentes sur la façade des gazinières. La fonte est d’abord chauffée, pour devenir liquide, jusqu’à une température de plus de mille cent degrés ; elle est ensuite transportée, via des chariots glissants sur des rails, aux postes de travail dans des récipients adaptés, les creusets. J’interviens alors, je la coule dans un moule métallique qui donne sa forme à la pièce désirée. Plus de huit heures par jour, du lundi au vendredi, et parfois le samedi quand le carnet de commande l’impose, je coule de la fonte. Sans tenter pour autant de concurrencer Stakhanov, je dois être le plus efficace possible car je suis payé à la pièce. Les conditions de travail sont pénibles, l’espace restreint, la chaleur étouffante, les risques de brûlures et de mauvaises inhalations nombreux. Les différentes fumées noircissent nos visages fatigués et nous imposent une douche de fin de journée sur notre lieu de labeur. Pas toujours simple de respirer dans une fonderie, pas toujours simple de travailler et de rester en bonne santé dans une fonderie. Tout simplement.

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