Le lendemain de l’enterrement de Simone, T….. repart à Dinan, il doit retourner travailler. Les premiers temps, je suis très affaibli, très amaigri, rapidement épuisé sans pour autant réussir à dormir. Mon médecin traitant me donne des cachets pour faciliter mon sommeil. Je me demande constamment si je vais être capable de faire face à l’absence de Simone, me désaccoutumer de sa présence, sans pour autant l’oublier, bien sûr. Trente-huit ans de vie commune… Me voilà dans de beaux draps. En retraite, depuis trois ans et demi, je n’ai cessé de m’occuper de Simone, le vide est immense.
Celui qui n’a jamais perdu un être cher peut difficilement comprendre, je pense, la détresse qui vous submerge alors. Comment s’imaginer, se projeter dans la vie d’après ? Pas simple de rester seul, je ne suis pas décédé, non plus ; j’ai le droit de vivre, faut juste s’en trouver la raison. Soit je me laisse aller, j’abandonne, j’y pense d’ailleurs, les premiers jours. Soit je redémarre.
Toutes les tracasseries administratives, les papiers, le notaire, les services fiscaux m’aident finalement à désengorger mon crâne d’une part de mes pensées négatives. Pendant les trois premiers mois, en occupant mon esprit différemment, ces tracasseries très prosaïques me dépossèdent, un peu, de mon deuil et m’obligent à penser et à regarder l’avenir. Pas le choix. Vivre ou mourir. À petit feu…
Comment je vais faire, qu’est-ce que je vais faire ? Je pense de nouveau au lendemain. Lentement.
Avec Simone, nous devions prochainement emménager dans le centre du bourg, la maison était presque fin prête, volontairement accessible aux fauteuils roulants. Je ne remets pas en cause ce départ du P…. . Je ne m’y vois pas du tout y vivre seul, sans Simone . Il me reste quelques petits travaux qui m’occupent un temps l’esprit. Toujours bon à prendre, penser à autre chose… Me rendre quotidiennement au cimetière, et ce, pendant de longs mois, m’épuise.
Dans la première quinzaine de mai, les copains avec lesquels je joue aux boules, le lundi, m’aident à déménager. Le quinze mai 2003, je m’installe définitivement dans ma nouvelle maison. Si, avec Simone, nous ne l’avions pas achetée, est-ce que je serais resté au P…. ? Ça m’étonne. Est-ce que j’aurais quand même acheté une maison seul ? Je ne sais pas. Les décisions ne se prennent plus à deux, on se retrouve seul, vraiment seul. Le drame de la perte d’un être si cher peut-il renforcer le caractère, le durcir un peu ? Peut-être bien. Surtout ne pas se laisser aller, ne pas sombrer. C’est mon choix.
Progressivement, vers la fin de l’année, l’idée de sortir, de revoir du monde, commence à me traverser l’esprit, car rester enfermé, seul chez moi, n’est peut-être pas la meilleure solution. Le jour de l’an 2004, Louis, le frère de Simone, m’invite à manger avec toute la famille. Je retrouve N….. qui a perdu Maurice depuis 1984 et n’a pas refait sa vie. Pendant plusieurs mois, je m’interroge, ne cesse de me questionner. Ne serait-ce pas prématuré ? Peut-être que les gens vont parler, les langues se délier, naturellement pas en notre faveur. Ces personnes ne peuvent pas comprendre, combien la solitude pèse lourd dans la vie.
Un an après le décès de Simone, nous commençons à nous voir plus fréquemment, je vais de plus en plus souvent à L…. où N….. demeure. Nous habitons, aujourd’hui encore, dans des maisons séparées ; je réside toujours au B……. .
Dix-sept ans après, je n’oublie pas Simone, mais je continue à vivre. Je ne culpabilise plus, et d’ailleurs personne ne m’a jamais rien reproché. Contrairement à mes craintes.
Chaque seize février, je ne me sens pas bien, je suis barbouillé. Toujours.